Entretien

"Réduire la demande risque de déstabiliser le pays"

5 min
Erica S. Downs Spécialiste de la politique énergétique chinoise à la Brookings Institution (Washington).

Les discours sur la maîtrise de la demande se multiplient à Pékin. Mais deux obstacles de taille s’y opposent: son coût et ses conséquences sociales. Entretien.

Qui oriente la diplomatie énergétique de la Chine: les dirigeants politiques ou les hommes d’affaires, notamment les dirigeants des compagnies pétrolières d’Etat?

Erica S. Downs. Le gouvernement souhaite que les compagnies d’Etat investissent à l’étranger. Mais pour l’essentiel, il les laisse déterminer le choix de leurs projets. Les diplomates s’efforcent, dans leurs relations avec les Etats étrangers, de créer un environnement favorable à ces investissements. Cela dit, le degré d’intervention de l’Etat d’un projet à l’autre semble assez variable, sans que l’on sache comment cela se passe concrètement. Des experts chinois se plaignent de ce que les compagnies font trop souvent ce qu’elles veulent. Et que du coup, le pays n’a pas de politique énergétique cohérente. Dans le passé, il est arrivé que les principales firmes chinoises (CNOOC, CNPC, Sinopec) se disputent des contrats à l’étranger, au Soudan et en Libye. Le pouvoir politique a dû arbitrer. Aujourd’hui, elles Paraissent soucieuses d’éviter ces compétitions frontales. De fait, en 2005, CNPC et CNOOC ont signé un accord pour prospecter en commun des gisements pétroliers dans la Mer Caspienne. De son côté, le gouvernement semble aujourd’hui accorder plus de soutien diplomatique aux compagnies d’Etat et vouloir coordonner davantage leurs investissements à l’étranger.

Le contentieux sur le gaz de Chunxiao

La Chine explore, depuis 2003, les gisements de gaz de Chunxiao. Ce qui irrite le japon. Arguant de la Convention sur le droit de la mer, les deux pays délimitent leurs eaux territoriales différemment: pour les Japonais, la ligne médiane tracée entre les côtes des pays fixe la limite. De son côté, Pékin délimite ses eaux territoriales à partir de son plateau continental.

Le contentieux sur le gaz de Chunxiao

La Chine explore, depuis 2003, les gisements de gaz de Chunxiao. Ce qui irrite le japon. Arguant de la Convention sur le droit de la mer, les deux pays délimitent leurs eaux territoriales différemment: pour les Japonais, la ligne médiane tracée entre les côtes des pays fixe la limite. De son côté, Pékin délimite ses eaux territoriales à partir de son plateau continental.

Pour assurer la sécurité de ses approvisionnements, le pouvoir contraint-il les compagnies d’Etat à des investissements non rentables à l’étranger?

Dans les années 90, les compagnies chinoises ont payé trop cher quelques-uns de leurs investissements. Etait-ce le résultat de pressions politiques? Plus vraisemblablement, le fruit de leur inexpérience, car elles venaient de se lancer dans des acquisitions à l’étranger. Dans des cas récents, il est possible que le pouvoir chinois ait incité et aidé les compagnies d’Etat à investir dans des projets que des sociétés occidentales n’auraient pas estimé rentables. Ainsi, le pipeline qui doit commencer à transporter cette année du pétrole d’Atasu, au centre du Kazakahstan, jusqu’à Alashankou, à la frontière nord-est de la Chine, est extrêmement coûteux. Mais Pékin en a besoin pour diminuer sa dépendance vis-à-vis des hydrocarbures du Golfe. Et de leur côté, les compagnies souhaitent investir au Kazakhstan pour des raisons commerciales. Il faut, par ailleurs, prendre en compte le fait que les responsables des compagnies chinoises ont une double casquette. Ce sont des hommes d’affaires comParables à leurs homologues occidentaux. Ils cherchent à maximiser le profit de leur entreprise. Mais ce sont aussi des membres du Parti communiste, qui les a nommés et peut les démettre. Certains d’entre eux espèrent, pour la suite de leur carrière , être nommés à la tête d’une province ou intégrer les hautes sphères du pouvoir politique.

En 2005, les compagnies se sont heurtées à de fortes résistances politiques pour des investissements aux Etats-Unis et au Kazakhstan. Ces opérations avaient-elles reçu l’aval du pouvoir?

C’est difficile à dire. En principe, un investissement à l’étranger de grande envergure requiert l’autorisation d’instances politiques, comme la Commission d’Etat pour le développement et la réforme, responsable de la planification. Dans le cas de la tentative de prise de contrôle de la société américaine Unocal en 2005, la décision a été prise par le président de la compagnie chinoise CNOOC, Fu Chengyu, pas par le gouvernement, même si le projet était en pleine cohérence avec la stratégie globale de Pékin. Ce que la compagnie n’avait pas anticipé, c’est l’opposition farouche du Congrès américain à l’opération. Je pense que le gouvernement chinois a incité CNOOC à se retirer pour éviter des tensions croissantes entre Pékin et Washington. Au Kazakhstan, le contexte est différent. C’est un pays frontalier de la Chine, avec lequel elle a un partenariat étroit. Les autorités politiques de Pékin ont joué un rôle actif pour faciliter le rachat de Petrokazak par la compagnie CNPC. De fait, même si celle-ci a dû renoncer à une partie des actifs de la firme kazakhe, le rachat a fini par se faire.

Les dirigeants politiques chinois affirment vouloir réduire la demande interne d’énergie pour être moins dépendants de l’étranger. Ont-ils les moyens d’y parvenir ?

Les discours sur la réduction de la demande se multiplient à Pékin. En 2004, le gouvernement a élaboré une stratégie en ce sens pour l’horizon 2020. Un plan d’économie d’énergie à moyen et long terme a été publié pour la première fois. Puis en 2005, le gouvernement a créé un groupe dirigeant sur l’énergie, qui comprend seize des principaux responsables politiques du pays. Mais il y a loin de la coupe aux lèvres. Car les obstacles sont nombreux. Et d’abord au sein de l’appareil d’Etat. La création de ce groupe montre que le gouvernement n’était pas satisfait des performances de l’appareil bureaucratique dans ce domaine. Aussi surprenant que cela puisse Paraître, le pays n’a pas de ministère de l’Energie depuis 1993, mais des structures plus modestes (Bureau de l’énergie). Certains experts chinois estiment que cette instance n’a pas une autorité suffisante pour orienter la politique du pays. Et surtout pour impulser une réduction de la demande interne. A l’inverse, les responsables de la Commission d’Etat pour le développement et la réforme, comme ceux des compagnies pétrolières, n’ont guère envie de voir se créer un nouveau centre de pouvoir menaçant leur pré carré. Autre obstacle à la maîtrise de la demande: l’argent, car jusqu’ici, les sommes investies dans les économies d’énergie ont été très faibles comparées aux sommes consacrées à la quête de pétrole. Enfin, réduire la demande présente des risques politiques. Le gouvernement impose en Chine un prix du carburant très inférieur à celui du marché mondial. Pour réduire la demande, le pouvoir pourrait augmenter ce prix. Mais cela risquerait de favoriser l’instabilité dans le pays, et d’abord chez les paysans, la majorité de la population. C’est l’une des raisons pour lesquelles une taxe sur le fuel est en débat depuis dix ans.

Pipelines existants ou en projet

Afin de réduire sa dépendance croissante au pétrole et au gaz du Moyen-Orient, qui arrivent sur son territoire par voie maritime, la Chine voudrait s’approvisionner davantage par voie terrestre en Asie centrale, autour de la Mer Caspienne, et en Russie. Ce qui suppose la mise en place de pipelines longs et coûteux. Mais implique surtout de conclure des accords durables avec les Etats de la région. Un pipeline est en construction qui traverse le Kazkahstan et aboutira dans la région chinoise du Xinjiang, à majorité musulmane, et agitée de mouvements sécessionnistes. Mais c’est avec Moscou que les négociations sont le plus ardues. Car le Japon, client de Moscou lui aussi, fait monter les enchères. Tokyo a obtenu, en 2004, la modification du tracé d’un pipeline pétrolier prévu entre la Sibérie et Daqing. Le nouveau tracé court au nord de la frontière chinoise jusqu’à Nakhodka. Un dérivation devrait amener une part de l’or noir à Daqing, via Skovorodino. Reste à savoir comment se fera le partage entre Pékin et Tokyo.

Pipelines existants ou en projet

Afin de réduire sa dépendance croissante au pétrole et au gaz du Moyen-Orient, qui arrivent sur son territoire par voie maritime, la Chine voudrait s’approvisionner davantage par voie terrestre en Asie centrale, autour de la Mer Caspienne, et en Russie. Ce qui suppose la mise en place de pipelines longs et coûteux. Mais implique surtout de conclure des accords durables avec les Etats de la région. Un pipeline est en construction qui traverse le Kazkahstan et aboutira dans la région chinoise du Xinjiang, à majorité musulmane, et agitée de mouvements sécessionnistes. Mais c’est avec Moscou que les négociations sont le plus ardues. Car le Japon, client de Moscou lui aussi, fait monter les enchères. Tokyo a obtenu, en 2004, la modification du tracé d’un pipeline pétrolier prévu entre la Sibérie et Daqing. Le nouveau tracé court au nord de la frontière chinoise jusqu’à Nakhodka. Un dérivation devrait amener une part de l’or noir à Daqing, via Skovorodino. Reste à savoir comment se fera le partage entre Pékin et Tokyo.

Propos recueillis par Yann Mens

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