FIDH-Carrefour : objectif ambitieux...efforts à poursuivre
La FIDH coopère depuis 1997 avec le géant de la distribution pour essayer d'obtenir le respect des droits sociaux chez ses fournisseurs. Bilan en demi-teinte.
Lorsque Carrefour, en 1997, s’adresse à la Fédération internationale des droits de l’homme (FIDH) pour l’accompagner dans ses efforts de lutte contre le travail des enfants, c’est un pas en avant. A l’époque, les distributeurs adoptaient les uns après les autres des codes de conduite écartant les fournisseurs du Sud qui employaient de la main-d’oeuvre enfantine. Rares, en revanche, sont ceux qui proposent à une ONG de vérifier leurs engagements. L’accueil de la FIDH fut pourtant réservé. "Nous voulions que Carrefour s’engage non seulement sur les enfants, mais aussi sur le respect des normes fondamentales du travail, à commencer par la liberté syndicale, rappelle Antoine Bernard, directeur exécutif de la FIDH. Et puis, sans liberté de négociation, sans amélioration des salaires, comment lutter contre l’exploitation des mineurs ?"
Carrefour se range à ces arguments et, en 2000, adopte une charte fournisseurs, élaborée avec la FIDH (lire p. 71). Pour la faire respecter, le distributeur et l’ONG nouent un partenariat : "La FIDH nous a aidés à élaborer les questionnaires destinés à auditer les entreprises dont nous sommes clients, explique Véronique Discours-Buhot, directrice du développement durable du groupe Carrefour. Elle a également formé nos acheteurs afin que les contrats passés avec les fournisseurs respectent la charte."
Le partenariat prévoit en outre la possibilité de visites inopinées de la FIDH dans les manufactures, pour vérifier la crédibilité des audits faits par des cabinets professionnels et la réalité des mesures correctrices mises en oeuvre. Si la FIDH réalise quelques missions au Bangladesh, elle finit pourtant par renoncer, en 2002, à poursuivre ce travail de contrôle externe. Non seulement elle n’en a pas les moyens (le partenariat avec Carrefour se monte à 70 000 euros par an, 1,75 % du budget de l’association), mais surtout, ces audits ont une portée très limitée (même s’ils permettent des progrès).
Faux registres
"Le travail des enfants a reculé, de même que les problèmes de comptabilisation des heures supplémentaires ou de versement des salaires, rappelle cependant Véronique Discours-Buhot. Lorsqu’un fournisseur est mal noté, nous lui demandons de réagir. S’il refuse, cela entraîne dans les cas graves une rupture de contrat. Chaque année, nous nous séparons ainsi de 4,5 à 6 % de nos fournisseurs." Ce monitoring a été étendu en France à quatorze enseignes de la grande distribution, groupées au sein de l’Initiative clause sociale, dont Carrefour est un moteur. Réaliser des audits communs en diminue les coûts et renforce le pouvoir de pression sur des fabricants dont aucun distributeur n’est le client unique. "Cependant, les cas de non-conformité restent nombreux", reconnaît Véronique Discours-Buhot. Des entorses à la réglementation sur les salaires ont été relevées dans 75 % des usines inspectées au Bangladesh et 67 % en Chine, selon le rapport 2006 de l’Initiative clause sociale. Elle signale aussi des disparités dans la qualité de ces audits, réalisés par des cabinets débordés par la demande. A quoi s’ajoutent, souligne l’avocate Marie Guiraud, qui a effectué plusieurs missions pour la FIDH dans le cadre de ce partenariat, les faux registres que bien des chefs d’entreprise ont appris à tenir à la disposition des auditeurs.
Lois minimalistes
Plus fondamentalement, les audits sont sans effet sur les rapports salariaux. "Vérifier si les heures supplémentaires sont payées ne signifie pas que les ouvriers gagnent de quoi vivre", note Antoine Bernard. Au Bangladesh, le salaire légal de base est de 16 euros par mois 1. Véronique Discours-Buhot en convient, ce revenu ne permet pas "d’assurer pleinement" le minimum vital, pourtant l’un des engagements de Carrefour. De même, l’absence de liberté syndicale, en Chine surtout, place Carrefour en contradiction avec sa charte. Evoquant "une marge de manoeuvre limitée", le distributeur "préfère se fixer un horizon meilleur vers lequel tendre" quand des concurrents se contentent d’annoncer qu’ils respectent les lois minimalistes des pays où ils se fournissent. Ainsi, bien que la liberté syndicale ne soit pas reconnue en Chine, Carrefour veut tirer parti de la nouvelle loi de janvier 2008, sur l’obligation d’établir des contrats de travail, pour favoriser le dialogue social dans les entreprises via un programme de formation élaboré avec la FIDH.
Dégagée du rôle de contrôle qui risquait d’associer son nom à des engagements non tenus, la FIDH exerce donc plutôt une fonction d’"ami critique", qui cherche à faire avancer les droits des travailleurs et à les rendre effectifs. En plus des formations qu’elle organise (lire p. 70), la FIDH ne manque donc pas de présenter ses recommandations à Carrefour. Une position pas forcément plus confortable.
La FIDH a accepté de participer au conseil consultatif du Global Social Compliance Programme (GSCP). Lancé en 2006, le GSCP est une initiative des grands de la distribution, dont l’américain Wal-Mart. Elle vise à unifier les audits au niveau mondial et éviter qu’un fournisseur soit inspecté par une vingtaine de clients différents. Le but est de consacrer moins d’argent et d’énergie à l’exécution des audits et davantage aux mesures qu’ils recommandent. Bien que, comme l’UNI (confédération syndicale internationale des services), la FIDH n’y joue qu’un rôle consultatif, sa participation est mal perçue par les ONG membres de la campagne internationale Vêtements propres 2. D’une part en raison de la présence de Wal-Mart, connu pour ses pratiques antisociales et antisyndicales aux Etats-Unis. D’autre part "parce que c’est une initiative purement patronale. Or, ces questions devraient être traitées dans un cadre multipartite, avec une représentation des syndicats et des ONG", estime Carole Crabbé, coordinatrice de la campagne Vêtements propres pour la Belgique francophone. Des critiques que la FIDH partage et qu’elle a donc adressées à la direction du GSCP. L’avenir dira si cette stratégie du lobbying à l’intérieur, risquée en terme d’image, aura été payante.
- 1. La Banque mondiale fixe à un dollar par jour le seuil absolu de pauvreté.
- 2. Voir www.cleanclothes.org et, en France, De l’éthique sur l’étiquette (www.ethique-sur-etiquette.org).