Justice pénale : comment empêcher les abus du pouvoir ? (Introduction au dossier)

3 min
Par Yann Mens

A la fin des années 1970, le cinéaste Yves Boisset lui donnait un surnom musclé : " le shériff ". Et Balzac en avait déjà fait " l’homme le plus puissant de France ". Aujourd’hui, c’est précisément l’exercice solitaire de ses importants pouvoirs qui est mis en cause, depuis l’affaire d’Outreau notamment. Et même si en l’occurrence il ne faillit pas seul, l’image du juge d’instruction est entamée dans l’opinion.

La réforme pénale souhaitée par Nicolas Sarkozy projette de faire disparaître ce magistrat qui instruit les affaires les plus complexes. Et sensibles. Certes, elle est très hypothéquée par de vives oppositions dans le monde judiciaire et au Parlement. Mais son renvoi (provisoire ?) n’éteindra pas les critiques contre le juge d’instruction, dont Robert Badinter a souligné l’ambiguïté : " D’une part enquêter, d’autre part rendre des décisions juridictionnelles qui touchent aux libertés individuelles : à la fois Maigret et Salomon ! " 1.

Plusieurs pays d’Europe ont supprimé la fonction et confié au seul parquet toutes les enquêtes pénales, sensibles ou pas. Certes, l’on ne peut transposer mécaniquement ce qui se fait ailleurs, tant la nature, le poids respectifs de l’instruction et de la phase de jugement varient d’un pays à l’autre. Mais au-delà des traditions juridiques, les systèmes convergent dans la pratique (lire p. 50). Et il est donc possible de tirer des enseignements des expériences voisines. Le gouvernement français prévoit de confier à un juge de l’enquête et des libertés le soin d’ordonner les mesures les plus attentatoires aux libertés durant l’enquête menée par le parquet. Or c’est ce que fait le juge de l’enquête allemand. Dont le pouvoir est en pratique très limité... (lire p. 53). De même, et c’est l’une des critiques les plus fréquentes à son projet, le gouvernement français n’entend pas modifier substantiellement le lien de dépendance du parquet vis-à-vis du pouvoir exécutif. Certes, un parquet indépendant présente le risque d’une justice administrée de façon disparate, comme en Italie (lire p. 56). Sans aller jusque-là, un encadrement plus strict des instructions gouvernementales concernant des dossiers individuels, susceptibles de concerner des proches du pouvoir (ou des rivaux...), est possible (lire p. 54). Mais surtout une procédure moins arbitraire de nomination et de promotion des magistrats du parquet est nécessaire (lire p. 58).

Avant de supprimer le juge d’instruction, ne pourrait-on le réformer ? Une loi, votée en 2007, après l’affaire d’Outreau, instaure la collégialité de l’instruction pour éviter les dérives solitaires. Le gouvernement français en a suspendu l’application pour faire passer sa réforme. Pourquoi tant de précipitation ?

  • 1. Le Monde, 22 mars 2009.

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