Les retours grimaçants de l’histoire

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La littérature hongroise s'est inscrite dans le passé mouvementé du pays, entre guerres, révolutions et contre-révolutions. Sans renier cet héritage, de jeunes écrivains abordent les nouvelles formes de violence sous forme de fables.

Les oeuvres des grands auteurs hongrois contemporains traitent des questions posées par l’histoire du XXe siècle à toute l’Europe : celles de la liberté, celles de l’individu dans les systèmes totalitaires, celles posées par la Shoah, celles de la terreur, de la culture. Cette histoire fut si violente dans la profondeur de ses destructions et dans ses revirements - particulièrement en Europe centrale - que des oeuvres comme celles d’Imre Kertész ou de Péter Nádas, construisant à partir de questions ancrées dans le présent un retour réflexif sur le passé, constituent aussi un viatique pour les épreuves de notre temps.

La première moitié des années 2000 fut marquée par deux livres de Péter Esterházy, Harmonia Cælestis et Revu et corrigé. Alors que le premier, célébration littéraire de la figure paternelle déclinée dans de vertigineux exercices de style, évoquait les heures de gloire et les vicissitudes de sa célèbre famille à travers l’histoire du pays, l’auteur découvrit à sa parution que son propre père avait été agent de la police politique. Ce dont il tira le second livre, entremêlant le texte des rapports du père et celui du " journal " de la réflexion ébranlée du fils.

Parmi les écrivains les plus intéressants de la jeune génération, plusieurs s’attachent dans le présent au poids du passé récent. Le sens qu’ils donnent à la représentation littéraire peut être situé dans la continuité des oeuvres d’écrivains de la génération précédente, comme László Krasznahorkai et Ádám Bodor. Leurs constructions romanesques et poétiques, nourries des réalités du monde rural hongrois ravagé à la fin des années 1980 pour Krasznahorkai ou de celui de la Transylvanie sous la dictature de Ceausescu pour Bodor, empruntent aux formes du mythe pour transmettre des expériences limites de mise à la marge, de déshumanisation.

Ainsi, Le Roi blanc de György Dragomán, né en 1973, évoque sans la nommer la dictature roumaine à travers une année de la vie d’un jeune garçon, narrateur incrédule, confronté aux jeux mortifères de la violence et du mensonge. Attila Bartis, originaire de Transylvanie et ayant comme Dragomán rejoint la Hongrie dans les années 1980, situe son roman à Budapest. La Tranquillité est un mécanisme narratif impitoyable dont le narrateur est un écrivain étouffé par sa mère, grande comédienne qui, à la suite à la dissidence de sa fille, est tombée en disgrâce et vit depuis murée dans sa folie. Ces deux livres parlent donc de la brutalité des pouvoirs dictatoriaux, de la violence sociale et intime, du mensonge institutionnalisé et familial.

Leurs livres précédents (Promenade d’Attila Bartis a été traduit, mais pas encore Le Livre de la destruction de Dragomán) sont tous deux des fables " antihistoriques " sur l’histoire, ses recommencements grimaçants, les cycles répétés de la violence entre guerres, révolutions et contre-révolutions. Ces écrivains parlent ainsi de la perte du sens quand un pouvoir prive individus ou communautés de leur destin politique. Nous éclairant des lumières sombres de ces expériences encore peu lointaines, ils nous invitent à réfléchir sur notre temps.

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