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Solidarité : NAN, un contre-pouvoir russe financé par le pouvoir

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A Moscou, l'association NAN soigne l'alcoolisme et accompagne les toxicomanes à rebours des habitudes médicales russes. Si elle est relativement libre d'appliquer ses méthodes, c'est paradoxalement en raison de ses liens étroits avec l'administration.

A Moscou, le centre municipal de réhabilitation Kvartal soigne des mineurs aux prises avec l’alcool et la drogue. Ce complexe tout neuf est unique en Russie. Il comprend un service d’urgence, des services d’hospitalisation de jour et de longue durée, une piscine, des salles d’art-thérapie et de sport. Son fondateur, Oleg Zykov, directeur de l’association russe Non à l’alcoolisme et à la toxicomanie (NAN) n’a pas ménagé ses efforts auprès des élus locaux pour décrocher des subventions : " Pour tout démarrer, j’avais besoin de 2 millions de dollars ", s’exclame-t-il.

NAN a un caractère hybride. Comme ONG, cette association est juridiquement indépendante de l’État, mais les pouvoirs publics prennent en charge 60 % de ses coûts de fonctionnement, en particulier les salaires, versés par le ministère de la santé. Le reste de son budget provient de l’aide étrangère : Unicef, agences de développement et fondations privées.

Zoom Logement en Russie : l’union des habitants d’Astrakhan

Le désengagement accéléré de l’État russe du secteur du logement depuis 2005 s’est entre autre traduit par la privatisation sauvage de la gestion des immeubles. Conséquence : des millions de résidents ont vu leurs charges communes s’envoler alors que les murs n’étaient même plus entretenus. Un certain nombre de propriétaires ont, du coup, tenté de s’organiser pour ne pas recourir aux services onéreux (et souvent fictifs) des syndics privés.

Incurie

C’est le cas à Astrakhan. Dans cette ville du bord de la Caspienne, la gestion des parties communes de six cents bâtiments est désormais assurée par des " comités d’immeubles ", dont près de la moitié est réunie au sein de l’union des habitants d’Astrakhan. La popularité de ce mouvement, né au milieu des années 2000, s’explique par la nécessité de répondre à l’incurie des services communaux puis privés. Mais surtout par l’existence d’un réseau de militants politiques, associatifs et syndicaux qui s’est développé depuis la seconde moitié des années 1990.

Malgré son inscription dans le Code du logement de 2005, le droit réel à la gestion directe des immeubles a été conquis de haute lutte face aux réticences des autorités. Notamment grâce au soutien du député d’opposition Oleg Shein, qui a depuis perdu son siège lors des élections législatives du 4 décembre dernier, dans une circonscription où la fraude électorale a atteint des sommets.

Autogestion

Sur le terrain, la satisfaction l’emporte : " Au moins parvenons-nous à faire effectuer un certain nombre de travaux. Avant, notre argent n’allait nulle part ", indique un membre d’un comité d’immeuble. Reste que ces associations concernent moins du tiers (et encore moins dans les autres régions) des logements collectifs de la ville. Et que leur fonctionnement n’est pas toujours évident, tant il repose sur l’engagement fort de quelques individus.

C’est par exemple cas de Valentina, chef du comité de son immeuble. La soixantaine et l’allure soignée, elle habite depuis son enfance dans l’appartement de trois pièces accordé à ses parents par le pouvoir soviétique. Elle connaît tout le monde ou presque dans les étages. Après s’être battue pour le droit à l’autogestion, elle passe aujourd’hui une grande partie de son temps à la gestion du quotidien : comptabilité, animation des réunions, suivi des travaux. Avec souvent bien des désagréments à la clé et sans en retirer le moindre kopeck.

NAN a été créée en 1987 par des psychiatres, qui s’opposaient au traitement des addictions par les moyens répressifs hérités du passé soviétique - notamment le recours exclusif aux moyens de la chimie, toujours d’actualité. " Même si nous sommes employés par l’État, indique Svetlana, neurologue, nous nous démarquons de l’approche dominante de la psychiatrie en Russie. Mais nous avons dû parcourir un long chemin bureaucratique pour convaincre l’administration du bien-fondé de nos interventions ". Par exemple, lorsque Kvartal s’est vu reprocher de se montrer complaisant vis-à-vis de la toxicomanie parce que les dessins des enfants exprimant leur vie dans la rue ou leurs problèmes d’addiction étaient accrochés aux murs.

Les directeurs de NAN sont aussi à la tête du dispensaire municipal n° 12 de Moscou. Cette position dans l’administration permet à NAN d’échapper à bien des attaques de la bureaucratie - comme un contrôle fiscal ou une inspection des services d’hygiène - auxquelles sont exposées les ONG dont l’action déplaît aux autorités. En jouant la coopération avec l’État, NAN parvient ainsi à se ménager quelques marges de manoeuvre.

Sensibiliser les députés

Un exercice qui a cependant ses limites, comme l’a illustré le cas d’un projet d’assistance aux toxicomanes et aux séropositifs dans une cité de la banlieue de Moscou. Créé par NAN, le programme Yacen propose des groupes d’entraide, une ligne téléphonique, un accompagnement médical, un lieu d’accueil et d’écoute. Yacen aurait aussi dû fournir des seringues stériles pour entrer en contact avec les toxicomanes et lutter contre la propagation du virus du Sida. Mais cette activité a été interdite par l’administration et NAN n’a rien pu y faire.

Zoom Russie : Elizaveta Glinka, docteur de la rue

Elle est l’une des icônes de la vague nouvelle du volontariat russe. Dans les rues de Moscou, elle est connue comme " doctor Liza ". Médecin spécialisée en oncologie, Elizaveta Glinka, aide les plus démunis, depuis les SDF blottis dans les gares jusqu’aux malades en phase terminale refusés par les hôpitaux. Pendant les incendies de l’été 2010, elle s’est associée aux volontaires venus renforcer les pompiers dépassés. Et, lors des manifestations de décembre dernier, elle a apporté de la nourriture aux protestataires arrêtés. Elle publie sur la toile le journal de ses tournées avec sa petite unité de soins mobile et son équipe de volontaires (doctor-liza.livejournal.com), ce qui permet de mobiliser des aides pour des personnes en détresse .

L’ONG n’en continue pas moins de lutter par tous les moyens contre le traitement purement répressif du problème de la toxicomanie, qui continue d’avoir cours aujourd’hui " Quand un texte de loi est en préparation à la Douma (l’Assemblée russe), explique Sergeï Poliatykin, codirecteur de NAN, nous faisons tout pour faire entendre notre point de vue. Il est d’autant plus indispensable d’essayer de sensibiliser les députés que beaucoup d’extrémistes siègent à la Chambre ".

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