Solidarité : NAN, un contre-pouvoir russe financé par le pouvoir
A Moscou, l'association NAN soigne l'alcoolisme et accompagne les toxicomanes à rebours des habitudes médicales russes. Si elle est relativement libre d'appliquer ses méthodes, c'est paradoxalement en raison de ses liens étroits avec l'administration.
A Moscou, le centre municipal de réhabilitation Kvartal soigne des mineurs aux prises avec l’alcool et la drogue. Ce complexe tout neuf est unique en Russie. Il comprend un service d’urgence, des services d’hospitalisation de jour et de longue durée, une piscine, des salles d’art-thérapie et de sport. Son fondateur, Oleg Zykov, directeur de l’association russe Non à l’alcoolisme et à la toxicomanie (NAN) n’a pas ménagé ses efforts auprès des élus locaux pour décrocher des subventions : " Pour tout démarrer, j’avais besoin de 2 millions de dollars ", s’exclame-t-il.
NAN a un caractère hybride. Comme ONG, cette association est juridiquement indépendante de l’État, mais les pouvoirs publics prennent en charge 60 % de ses coûts de fonctionnement, en particulier les salaires, versés par le ministère de la santé. Le reste de son budget provient de l’aide étrangère : Unicef, agences de développement et fondations privées.
NAN a été créée en 1987 par des psychiatres, qui s’opposaient au traitement des addictions par les moyens répressifs hérités du passé soviétique - notamment le recours exclusif aux moyens de la chimie, toujours d’actualité. " Même si nous sommes employés par l’État, indique Svetlana, neurologue, nous nous démarquons de l’approche dominante de la psychiatrie en Russie. Mais nous avons dû parcourir un long chemin bureaucratique pour convaincre l’administration du bien-fondé de nos interventions ". Par exemple, lorsque Kvartal s’est vu reprocher de se montrer complaisant vis-à-vis de la toxicomanie parce que les dessins des enfants exprimant leur vie dans la rue ou leurs problèmes d’addiction étaient accrochés aux murs.
Les directeurs de NAN sont aussi à la tête du dispensaire municipal n° 12 de Moscou. Cette position dans l’administration permet à NAN d’échapper à bien des attaques de la bureaucratie - comme un contrôle fiscal ou une inspection des services d’hygiène - auxquelles sont exposées les ONG dont l’action déplaît aux autorités. En jouant la coopération avec l’État, NAN parvient ainsi à se ménager quelques marges de manoeuvre.
Sensibiliser les députés
Un exercice qui a cependant ses limites, comme l’a illustré le cas d’un projet d’assistance aux toxicomanes et aux séropositifs dans une cité de la banlieue de Moscou. Créé par NAN, le programme Yacen propose des groupes d’entraide, une ligne téléphonique, un accompagnement médical, un lieu d’accueil et d’écoute. Yacen aurait aussi dû fournir des seringues stériles pour entrer en contact avec les toxicomanes et lutter contre la propagation du virus du Sida. Mais cette activité a été interdite par l’administration et NAN n’a rien pu y faire.
L’ONG n’en continue pas moins de lutter par tous les moyens contre le traitement purement répressif du problème de la toxicomanie, qui continue d’avoir cours aujourd’hui " Quand un texte de loi est en préparation à la Douma (l’Assemblée russe), explique Sergeï Poliatykin, codirecteur de NAN, nous faisons tout pour faire entendre notre point de vue. Il est d’autant plus indispensable d’essayer de sensibiliser les députés que beaucoup d’extrémistes siègent à la Chambre ".