Opinion

Après la guerre, la poudrière

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Christophe Jaffrelot Directeur de recherche CERI-Sciences Po/CNRS

Le calendrier du retrait des troupes de l’OTAN en Afghanistan a été confirmé, apparemment de façon consensuelle, au sommet de Chicago, en mai dernier. C’est que l’Occident est las d’une guerre que nombre des pays engagés ont longtemps refusé de nommer ainsi.

La France notamment affirmait être en Afghanistan, à la demande du président afghan Hamid Karzaï, pour reconstruire le pays et rien d’autre. Tout au plus, admettait-elle lutter contre le terrorisme.

Pour les troupes occidentales qui restent sur place, le terrorisme, incarné par les vestiges et les successeurs

d’Al-Qaïda, va sans doute devenir la cible unique - comme Joe Biden, le vice-président américain, l’avait d’ailleurs prôné dès 2008, conscient qu’il était des risques d’enlisement d’une vaste opération au sol. À l’époque le nouveau président des États-Unis Barack Obama avait opté, lui, après beaucoup d’hésitation, pour la contre-insurrection. Cette méthode visait à reconquérir le coeur des Afghans par des projets de développement, destinés à les convaincre de tourner le dos aux talibans. Dans bien des régions d’Afghanistan, ces projets n’ont pas vu le jour, du fait de l’insécurité qu’entretenaient déjà les talibans. En 2008, il était trop tard : l’OTAN s’était déjà aliénée une partie de la population afghane par une méthode répressive très brutale dans laquelle les troupes américaines se sont particulièrement illustrées - sans compter leurs incalculables " bavures ". Les États-Unis en reviennent donc, sans le dire, à des ambitions plus modestes et moins généreuses : il s’agit de contenir le retour de groupes terroristes qui pourraient les frapper, comme Al-Qaïda l’a fait le 11 septembre 2011. Cela permet à Barack Obama de ramener 23 000 hommes à la maison dès cette année.

Mais le contre-terrorisme exige quelques moyens - au minimum des agents de renseignement chargés de localiser les suspects et des drones pour les frapper. Pour cela, les Américains négocient avec Hamid Karzaï une présence minimale de quelques milliers d’hommes dans des bases sous commandement américain ou, à défaut, sous l’autorité des Afghans.

Ce plan, à l’instar des discours entourant le retrait français, repose sur une confiance excessive dans l’armée afghane qui ne sera sans doute pas en mesure d’assurer la sécurité du pays, a fortiori pas celle des troupes étrangères qu’il héberge - ni même, sans doute, de Karzaï lui-même. Avec le risque de voir les talibans revenir rapidement au pouvoir. Ce qui ferait le jeu de leurs alliés pakistanais.

Car depuis le début de la " Guerre mondiale contre le terrorisme " décrétée par George Bush, le Pakistan cultive un double jeu. D’un côté il assure, en échange de sommes colossales - 20 milliards de dollars versés par les États-Unis en dix ans -, le service minimum qui a permis l’arrestation de certains leaders d’Al-Qaïda repliés sur son sol. Mais pas celle d’Oussama Ben Laden qui étrangement a échappé à sa vigilance... D’un autre côté, Islamabad protège les talibans afghans, véritables partenaires de l’armée pakistanaise qu’elle compte réinstaller au pouvoir aussitôt les troupes de l’OTAN parties. Pourquoi ? Pour empêcher l’Inde de prendre pied en Afghanistan et disposer lui-même d’une profondeur stratégique à l’ouest face à son grand voisin.

Qui pourrait dissuader Islamabad de jouer ce jeu dangereux ? C’est à cette question que devraient s’atteler les Occidentaux qui laissent derrière eux une région à feu et à sang. Ils sont trop exsangues pour conduire à bien leur mission, mais bien des pays de la zone ont intérêt à stabiliser l’AfPak. La balle est donc aujourd’hui dans le camp de Pékin, New Delhi et Téhéran. À moins qu’un attentat à Times Square ou ailleurs n’oblige les Occidentaux à réinvestir dans la région.

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