Entretien

"Le nucléaire iranien survivrait à une attaque"

4 min
Shlomo Brom chercheur à l'Institut d'études de sécurité nationale (INSS) de Tel Aviv, après une longue carrière au sein des forces armées israéliennes, où il a notamment dirigé la division de planification stratégique et obtenu le grade de général de brigade

Les dirigeants israéliens évoquent de plus en plus souvent l’éventualité de frappes militaires contre les installations nucléaires iraniennes. Quel sera le poids de la hiérarchie militaire dans la décision de lancer une telle opération ?

Shlomo Brom : Israël est une démocratie et de telles décisions relèvent des responsables politiques élus. Mais ceux-ci doivent aussi envisager les conséquences d’un éventuel échec de l’opération. Si un dirigeant politique décide d’y aller contre l’avis des chefs militaires et que l’opération est un échec, sa carrière est finie. Si au contraire leur avis est favorable et que l’opération rate, il peut toujours rejeter la faute sur eux et sauver sa carrière. De telles considérations pèsent particulièrement dans le cas d’une opération à haut risque, comme une attaque contre l’Iran.

En pratique, les chefs militaires israéliens sont-ils plus réticents à lancer une telle opération que les responsables politiques ?

S. B. : On a le sentiment qu’ils sont plus réticents parce qu’ils comprennent mieux les risques militaires durant l’opération, les représailles qui suivront, ainsi que les possibles répercussions politiques. Ils estiment, en outre, que l’opération ne ferait que retarder le programme iranien de manière limitée. Ils s’inquiètent enfin des conséquences négatives que l’opération pourrait entraîner dans les relations entre Israël et les États-Unis si ceux-ci devaient être entraînés dans une guerre longue et coûteuse avec l’Iran, ce qui à terme pourrait les inciter à réduire leur aide militaire à Israël.

Les responsables politiques israéliens sont-ils prêts à lancer une opération contre l’Iran, sans l’autorisation, ou la participation, des États-Unis ?

S. B. : Il est difficile de savoir exactement ce que pensent les deux personnes concernées, le premier ministre, Benyamin Netanyahu et le ministre de la défense, Ehud Barak. Ils affirment qu’ils y sont prêts, mais j’ignore si c’est vrai. Ou si c’est seulement une manipulation visant à forcer les États-Unis à y prendre part, voire à lancer eux-mêmes l’attaque.

Une opération implique de détruire la défense anti-aérienne iranienne, puis les sites nucléaires, et enfin d’éviter les représailles par Téhéran ou ses alliés. Israël a-t-il les moyens de faire tout cela ?

S. B. : Il n’est pas nécessaire de détruire la défense anti-aérienne, elle peut être neutralisée autrement. Israël a les moyens d’atteindre n’importe quelle cible en Iran et de la frapper. L’incertitude porte sur l’ampleur des dégâts que l’on peut infliger à chaque cible, ce qui dépend de son niveau de protection, de son degré d’enfouissement dans le sol surtout. Enfin, on exagère beaucoup les risques de représailles par l’Iran ou le Hezbollah. Israël a les moyens d’y faire face, même s’il subirait des pertes. Concernant les répercussions de l’attaque, le problème est à mon sens plus politique que militaire du fait de l’impact sur les relations israélo-américaines mais aussi avec d’autres pays, si par exemple les cours du pétrole augmentaient brutalement.

Si les États-Unis soutenaient l’opération, quel serait l’appui dont Israël aurait le plus besoin ?

S. B. : Israël n’a pas besoin d’une assistance militaire spécifique de la part des États-Unis pour l’opération elle-même, mais a besoin de leur soutien par la suite pour que les résultats soient durables. Étant une puissance relativement petite, Israël n’a pas les moyens de poursuivre les pressions militaires sur le programme iranien après des premières frappes chirurgicales que ses forces armées réaliseraient. Seule une puissance d’envergure mondiale comme les États-Unis est à même de stopper le programme parce qu’elle a les moyens de le retarder indéfiniment.

Des frappes israéliennes ne risquent-elles pas de convaincre les dirigeants iraniens, mais aussi leur opinion publique, que le pays a besoin d’une arme nucléaire pour ne plus être attaqué dans l’avenir ?

S. B. : Personne ne sait quelle serait la réaction de l’opinion iranienne. Des frappes pourraient aussi accroître les critiques contre le régime qui en serait tenu pour responsable. Mais ce que pense la population ne pèse pas, ce n’est pas elle qui a le pouvoir. Quant au régime, il peut en effet décider d’accélérer son programme nucléaire. C’est l’un des risques d’une attaque menée par Israël seul.

Propos recueillis par Yann Mens

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