Opinion

Un Rafale pour BHL ?

3 min

Cher Bernard-Henri Lévy, je me propose de lancer une souscription pour vous offrir un Rafale, et comme on n’est plus à ça près, la formation nécessaire pour le piloter. Oui, je sais, c’est un beau cadeau. Qui au passage fera plaisir à Monsieur Dassault, car cet homme a un mal de chien à exporter ses zincs militaires. Un peu onéreux, il est vrai (125 millions d’euros pièce, premier prix).

Si je fais appel à la générosité publique, ce n’est pas pour que vous changiez de métier. Juste que pour vous fassiez quelques tours en avion de chasse, ce qui vous permettra de voir comment cela fonctionne, notamment quand il faut éviter les défenses anti-aériennes, et surtout ce que ça donne quand on doit décider de tirer, ou pas, sur une cible située au milieu d’une ville pleine de civils, même avec tous les engins de pointe dont Monsieur Dassault l’a équipé. Car j’ai lu votre appel, "Des avions pour Alep !", publié dans Le Monde du 14 août dernier à propos de la tragédie qui se déroule en Syrie. Inspiré par le précédent libyen, vous y appelez à une intervention internationale pour pousser le sanguinaire Bachar al-Assad à l’exil. Point de troupes au sol dans votre proposition, mais des avions donc, chargés d’imposer plusieurs types de zones. Des no fly zones pour interdire l’espace aérien aux appareils du régime. Des no drive zones pour paralyser leurs blindés. Des no kill zones, sanctuaires destinés à l’Armée syrienne libre qui y serait équipée en "armes défensives". Et enfin, des buffer zones abritant les civils fuyant les combats.

Après avoir lu votre projet, je suis tombé sur un texte concernant l’un de vos héros, André Malraux. Évoquant l’écrivain qui durant la guerre d’Espagne organisa une escadrille pour bombarder les positions franquistes, l’auteur évoque "l’extraordinaire technicité de ses interventions, sa connaissance précise du fonctionnement des Potez ou des Latécoère" (les avions de l’époque). Il qualifie Malraux de "combattant précis et attentif aux choses militaires". Et de confier enfin : "j’avoue être assez fasciné par ceux des intellectuels qui poussent le souci de l’engagement jusqu’à cette obsession du détail, de la tactique". Vous vous êtes reconnu, n’est-ce pas, cher Bernard-Henri ? Car, oui, c’est vous qui en 2001 admiriez ainsi la science militaire d’André Malraux 1. Et c’est pour cela que je propose de vous offrir le coûteux joujou de Monsieur Dassault.

Car lorsque vous écrivez dans Le Monde que les dommages causés par une opération de sauvetage des civils syriens "seront, quoi qu’il arrive, moindres que ceux des canons à longue portée "urbicidant" les villes insurgées", c’est ce "quoi qu’il arrive" sans appel qui me laisse le plus perplexe. Ne vous avanceriez-vous pas un peu imprudemment sur un terrain que vous connaissez peu, moins bien en tout cas que votre cher Malraux ? Je sais que de Sarajevo à Tripoli entre autres, vous avez fréquenté des théâtres de conflit. Mais avez-vous vraiment poussé "le souci de l’engagement jusqu’à cette obsession du détail, de la tactique" pour être si catégorique sur les conséquences d’une intervention aérienne et les pertes humaines qu’elle peut provoquer, au-delà des frontières du pays visé peut-être ? Qu’est ce qui vous fait penser que contrairement à tous les praticiens de la chose militaire, aux gouvernants qui doivent décider de lancer, ou pas, leurs avions contre des villes étrangères, vous voyez tout à fait clair dans ce brouillard de la guerre dont Clausewitz disait qu’il ne dissipe jamais totalement ? Même pour les pilotes des très sophistiqués Rafale, je le crains.

  • 1. André Malraux ou l’engagement, Colloque "Malraux, ombres et lumières", consultable sur bernard-henri-levy.com

À la une

Laisser un commentaire
Seuls nos abonnés peuvent laisser des commentaires, abonnez-vous pour rejoindre le débat !
Sur le même sujet