Entretien

Les Américains traquent le sexe, les Français la violence

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Jean-François Mary est le président de la commission de Classification des films en France

Contrairement aux livres ou aux téléfilms, chaque film destiné au grand écran en France doit être visionné par les membres de la Commission de classification que vous présidez. Pourquoi ?

Jean-François Mary : Le travail de la Commission, un organe du CNC, consiste à regarder les films, longs et courts, ainsi que leurs bandes-annonces, avant leur exploitation en salles afin de déterminer à quel public ils s’adressent, de décider s’ils peuvent être vus par tout un chacun ou non, et de recommander des restrictions en conséquence au ministère de la culture, le décisionnaire final : avertissement prédiffusion, interdiction aux mineurs de moins de douze, seize, dix-huit ans voire classé X. Nous ne sommes pas un organe de régulation et notre avis n’est que consultatif. La raison d’être de la Commission est la protection des mineurs face à des images plus ou moins violentes qui pourraient les perturber ou les traumatiser.

La Commission est composée de membres de l’administration publique, de professionnels du cinéma, d’experts de la question de l’enfance, de représentants de l’Union nationale des associations familiales, du Conseil Supérieur de l’Audiovisuel, des maires et du défenseur des droits, ainsi que quatre jeunes de 18-24 ans. Tout ce monde a la même définition de la violence ?

J.-F. M. : Il est impossible d’établir une grille de critères préétablis, par définition artificiels, car cela reviendrait à ne pas considérer chaque film comme une oeuvre singulière a priori. De manière générale, ce ne sont pas les films où l’on massacre à la tronçonneuse en gros plan qui font le plus débat au sein de la Commission, mais bien ceux où la violence est psychologique, ou encore ceux où les thématiques abordées sont à la fois traumatisantes (inceste, pédophile) et relatives à l’enfance et à l’adolescence. Faut-il interdire aux adolescents un film ou des adolescents se harcèlent entre eux par exemple ? Il y a forcément une part de subjectivité dans nos décisions. Dans l’absolu, même le critère de l’âge pourrait être questionné car deux individus âgés de douze ans n’ont pas nécessairement la même maturité. Mais nous sommes animés par le principe de prévention, nous pensons à la collectivité avant de penser aux individus.

La Commission n’intervient pas sur le contenu des films ?

J.-F. M. : La commission ne juge pas les films en vertu de leur propos politique ou de leurs qualités artistiques ou esthétiques, mais essaie d’estimer leur degré de violence objective. En aucun cas, nous ne demandons une quelconque coupe ou remontage. Il est toujours bon de le rappeler, mais il n’y a plus de censure politique du cinéma en France. Ce qui ne veut pas dire qu’il n’y en a jamais eu, au contraire elle n’a été abolie qu’en 1974 et beaucoup de films traitant de la guerre d’Algérie par exemple ont été interdits, principalement sur des décisions des maires au nom du risque de trouble à l’ordre public. Il arrive dans de très rares cas qu’un producteur conteste notre avis (six films en trois ans,1. Il peut dans ces cas-là proposer une nouvelle version du film. Mais cela relève de sa responsabilité, en aucun cas la Commission ne l’y a encouragé.

Du point de vue du producteur, c’est surtout le destin économique d’un film qui se joue en commission de classification ?

J.-F. M. : De fait, c’est vrai. Aujourd’hui encore, le passage en salles est une étape cruciale du destin symbolique et économique d’un film. Plus la restriction est forte, moins le film a de chance d’être vu. Beaucoup de personnes aiment aller au cinéma en famille, avec les enfants, et veulent donc voir des films "tous publics". En outre, le cinéma, c’est aussi la salle de cinéma. Qui dit diffuser un film interdit aux moins de douze ans dit vérifier qu’il n’y a pas de spectateurs plus jeunes dans la salle. C’est une responsabilité qui incombe à l’exploitant, ce qui peut le dissuader. Enfin, la restriction d’âge conditionne aussi la deuxième vie d’un film, sa diffusion à la télévision. Les chaînes devant respecter des règles et des quotas stricts édictés par le CSA quant à la diffusion de films avec une interdiction, la chance d’être diffusé se réduit considérablement. Cela illustre les liens de plus en plus forts entre le cinéma et la télévision. Cette dernière est aussi l’un des principaux financeurs du cinéma français, et nombreux sont les cinéastes français à s’inquiéter de ses exigences grandissantes, synonymes de formatage et de créativité bridée selon certains. Contrairement à Hollywood, où les réalisateurs ont complètement intégré les exigences bien plus strictes et contraignantes de la Cara, leur propre organe de classification (lire page précédente).

Les États-Unis sont plus stricts en matière de restrictions d’âge. Beaucoup de films considérés comme "tous publics" ou "interdit aux moins de douze ans" en France sont interdits aux mineurs de moins de 17 ans là-bas. Comment expliquer un tel distinguo ?

J.-F. M. : De manière générale, les Américains n’ont pas une organisation du cinéma comparable à la nôtre. Il y a bien un système de régulation plus ancien et plus contraignant d’ailleurs. Sauf qu’il ne s’agit pas d’un organe public ayant pour mission de protéger l’enfance en vertu du code pénal, mais d’un regroupement de producteurs appliquant une norme professionnelle dont ils sont seuls juges. À Hollywood, la classification des films est assurée par les principaux studios qui imposent leur loi et font la police à Hollywood. Et en matière de nudité et de sexualité, beaucoup plus qu’en matière de violence, ils sont toujours aussi puritains et pointilleux.

  • 1. Rapport d’activité de la Commission de classification cinématographique, 2010-2012

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