RD Congo : l’histoire bégaie dans les Kivus
Le rapprochement entre Kinshasa et Kigali, qui a défait la rébellion de Laurent Nkunda, avait laissé espérer un retour de la paix dans la région. Il n'en a rien été.
Depuis plus de dix ans, le Nord-Kivu et le Sud-Kivu, régions frontalières dans l’est de la République démocratique du Congo (RDC), sont le théâtre d’affrontements entre mouvements armés dont les ressorts politiques, économiques, démographiques et ethniques sont inextricablement liés. Des mouvements par ailleurs souvent soutenus par les pouvoirs rwandais et ougandais d’une part (qui ont des intérêts dans la région), et congolais de l’autre (qui n’a pas la capacité militaire de défendre l’intégrité territoriale du pays).
Début 2009, la déroute de l’un de ces mouvements, le CNDP, dont la puissance était devenue très inquiétante, avait laissé espérer qu’on avançait, enfin, vers la paix dans les Kivus. Près d’un an plus tard, le bilan est des plus minces. Jusqu’à sa chute, le CNDP (Congrès national pour la défense du peuple) était le bras armé du Rwanda dans le Nord-Kivu. Dirigé par Laurent Nkunda, un tutsi congolais qui a reçu une formation militaire au Rwanda, ce mouvement s’était imposé comme le défenseur de la communauté tutsie du Nord-Kivu.
Neutralisation croisée
A la fin de l’année 2008, une grande offensive du CNDP, la " crise de Goma ", avait agité la crainte d’une rébellion conquérante dans l’Est congolais et poussé la communauté internationale a accentuer sa pression. Face à l’incapacité des casques bleus et de l’armée congolaise d’empêcher la progression du CNDP, toutes les parties prenantes au processus de paix (Union africaine, ONU, Union européenne) se sont mobilisées pour amener Kinshasa et Kigali à régler une fois pour toutes le " problème de l’Est ". L’accord entre les deux capitales prévoyait la neutralisation croisée des fauteurs de troubles, à savoir le CNDP (dirigé par un Laurent Nkunda déclarant ouvertement vouloir la chute du président congolais Kabila, ce qui devenait gênant pour Kigali) et les FDLR (les Forces démocratiques de libération du Rwanda, dirigées par les ex-génocidaires de 1994 regroupés dans l’Est du Congo et que réclame le gouvernement rwandais pour les juger). En raison de l’urgence de la situation, ce règlement a connu, sitôt conclu, un début de mise en oeuvre.
D’abord, Laurent Nkunda a été arrêté au Rwanda en janvier 2009, rendant possible, après l’accord du 23 mars 2009 entre Kinshasa et le CNDP, la " normalisation " de ce dernier : intégration des combattants dans l’armée congolaise et transformation du mouvement armé en parti pour assurer une représentation de ses " éléments politiques ". Ensuite, les FDLR furent traquées dans les Kivus grâce aux opérations " Umoja Wetu " (" notre unité ", offensive rwando-congolaise menée en février 2009) et " Kimia II " (armée congolaise et mission des Nations unies au Congo). Enfin, Kigali et Kinshasa opérèrent un rapprochement diplomatique grâce à la nomination d’ambassadeurs dans les deux capitales et à une rencontre entre les deux présidents en août 2009.
Malheureusement, les résultats sont pour le moment loin d’être à la hauteur de ces bons débuts. Aussi bien au Nord qu’au Sud-Kivu, la traque des FDLR a tourné court. Après la fin de l’opération " Umoja Wetu ", les combattants hutus des FDLR sont revenus sur leurs positions précédentes. Ils se vengent sur les civils, lancent des attaques contre l’armée congolaise (FARDC), parfois avec le soutien des milices Maï-Maï. Celles-ci, se présentant comme des groupes d’autodéfense des communautés locales, sont à forte coloration ethnique. Leurs alliances, quoique changeantes, sont néanmoins principalement guidées par la lutte sans merci contre les Tutsis du CNDP.
Cet échec militaire coïncide avec l’absence de progrès dans la très attendue normalisation politique. Le CNDP n’a pas obtenu l’intégration de ses chefs dans l’appareil du pouvoir congolais, comme il l’avait réclamé au chef de l’Etat à Kinshasa en mai 2009 1. Quant à l’intégration de ses troupes au sein des FARDC, elle reste toute théorique. Les troupes du CNDP continuent d’imposer des taxes aux populations et de contrôler leur zone d’influence (Masisi et Rutshuru) - l’autorité du commandement militaire congolais de Goma sur elles étant largement fictive.
Le processus de paix des Kivus s’apparente en définitive à une pièce de théâtre maintes fois rejouée dont ni l’intrigue ni les rôles n’ont changé. La Mission des Nations unies (Monuc) s’efforce de sauver les apparences institutionnelles et d’appuyer logistiquement l’armée congolaise, mais est affaiblie par des scandales sexuels à répétition condamnés par des ONG. Kinshasa et Kigali, arguant de leurs intérêts nationaux vitaux, continuent de se draper dans la légitimité d’une souveraineté prétexte à tous les abus. Les puissances occidentales font mine de croire au processus de paix et même d’assister militairement le gouvernement congolais : en juin, les Etats-Unis se sont engagés à former... 200 soldats congolais pour constituer une force de réaction rapide. Quant aux populations civiles, elles sont toujours les victimes d’un processus de paix à la crédibilité douteuse. Le seul changement d’importance dans ce triste scénario tient au rapprochement congolo-rwandais qui ne modifiera la donne que s’il est durable.
Viols et pillages
Ce rapprochement entre les deux capitales est d’autant plus crucial que le prix des offensives anti-FDLR payé par les civils est particulièrement lourd. Meurtres, viols et pillages sont en augmentation dans une région où, en 2008, les Nations unies avaient déja recensé, entre autres exactions, 7 703 cas de viols. Les communautés villageoises, prises en otage entre les FDLR et l’armée congolaise, sont soupçonnées par chaque partie de collaborer avec l’autre et contraintes par chacune de contribuer à sa subsistance. Avec une armée congolaise toujours aussi désorganisée, indisciplinée et impayée, le versant militaire du processus de paix accroît l’insécurité des populations. A tel point que nombre d’ONG sur le terrain plaident pour un arrêt de l’appui logistique de la Monuc à l’opération " Kimia II ", estimant entre 500 000 et 800 000 le nombre des personnes déplacées dans la région.
Pour ne rien arranger, le Congo subit de plein fouet la crise économique : le franc congolais s’est déprécié brutalement au début de l’année 2009, l’inflation atteint 40 % par an et le gouvernement a dû recourir à la fixation administrative des prix des produits les plus importants, tandis que la Banque africaine de développement et la Banque mondiale ont dû accorder au pays une aide de 200 millions de dollars. L’incertitude politico-militaire à l’Est et le marasme économique se conjuguent pour rendre le pouvoir de moins en moins légitime aux yeux de la population : le président congolais a remanié à trois reprises son gouvernement, sans parvenir pour autant à une meilleure gestion économique. En outre, l’incertitude autour du sort de Jean-Pierre Bemba (lire ci-dessus) alimente les rumeurs d’un retour de l’opposant numéro un de Joseph Kabila dès la prochaine élection, en 2011. Or, la bonne tenue de cette élection sera fondamentale pour l’aboutissement du processus de paix et la démocratisation de la RDC.
- 1. Le CNDP réclame trois portefeuilles ministériels (intérieur, transports, communication), deux postes de vice-ministre (mines, affaires sociales) et trois de commandement (des régions militaires du Nord-Kivu et du Kasaï -Oriental, et celui de chef d’état-major de l’armée de terre).