Extra-financier

Les rapports environnementaux des entreprises laissent à désirer

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Les grandes entreprises françaises sont tenues de faire auditer leurs risques sociaux et environnementaux depuis la loi Grenelle II. Mais bien que le législateur français soit en avance sur la plupart des autres pays, l'absence de standardisation des informations requises rend leurs déclarations inégales.

Usine d'extraction de minerai de nickel en Nouvelle Calédonien en juillet 2014. Le site a provoqué des dommages environnementaux et a rencontré de nombreux problèmes de sécurité, suscitant la colère des riverains qui ont réclamé sa fermeture. PHOTO : ©Ania Freindorf/ZUMA/REA

Le 25 juin 2020, sept ans après le lancement d'un premier programme de développement durable, le leader mondial de la cosmétique L'Oréal a présenté à la presse de nouveaux objectifs à horizon 2030 de sa politique RSE (responsabilité sociétale des entreprises). Par exemple : une réduction de moitié par produit fini de ses émissions de gaz à effet de serre par rapport à 2016.

Pour les grosses entreprises françaises, rapporter et faire vérifier par un tiers indépendant leurs impacts, risques et leurs objectifs en matière environnementale et sociale est obligatoire depuis…

 

Le 25 juin 2020, sept ans après le lancement d’un premier programme de développement durable, le leader mondial de la cosmétique L’Oréal a présenté à la presse de nouveaux objectifs à horizon 2030 de sa politique RSE (responsabilité sociétale des entreprises). Par exemple : une réduction de moitié par produit fini de ses émissions de gaz à effet de serre par rapport à 2016.

Pour les grosses entreprises françaises1, rapporter et faire vérifier par un tiers indépendant leurs impacts, risques et leurs objectifs en matière environnementale et sociale est obligatoire depuis 2012 avec la loi portant engagement national pour l’environnement, dite Grenelle II (du 12 juillet 2010).

Depuis 2001, celles cotées en Bourse devaient déjà fournir annuellement ce type d’informations mais sans qu’elles soient nécessairement vérifiées. Outre la France, seules l’Espagne et l’Italie ont légiféré en ce sens.

Absence de standard

Bien qu’ils représentent un outil de pilotage de la stratégie d’entreprise, ces rapports, rebaptisés déclarations de performance extra-financière (DPEF) en 2017 suite à la transposition d’une directive européenne, ne répondent à un aucun standard. « Certains expliquent de manière chiffrée comment l’entreprise concernée compte atteindre ses objectifs, alors que d’autres utilisent des formules assez imprécises comme “saisir des opportunités commerciales pour aller vers l’économie bas carbone” », décrit Isabelle Martinez, professeure des universités à la Toulouse School of Management Research.

Ce sont les entreprises elles-mêmes qui définissent quelles données extra-financières leur semblent pertinentes

Ce sont les entreprises elles-mêmes qui définissent quelles données extra-financières leur semblent pertinentes. Elles doivent ensuite présenter des politiques cohérentes par rapport aux risques identifiés. Dans un bilan de la première année d’application de la révision de 2017, le cabinet Deloitte, avec EY et le Medef relèvent qu’un quart des 102 sociétés étudiées ne présentent pas d’objectif chiffré et que deux tiers en ont peu. Quant aux risques, 60 % en font ressortir de 6 à 12, mais certaines descendent à 3 et d’autres montent en flèchent jusqu’à 32…

Résultat, alors que les DPEF doivent permettre aux investisseurs, salariés ou encore consommateurs d’être informés de manière éclairée sur les impacts des activités de ces structures, il leur est impossible de comparer deux rapports entre eux.

Une normalisation est envisagée à l’échelle européenne et pourrait aboutir à la fin de l’année 2020 ou début 2021. D’aucuns plaident aussi pour la création d’un socle commun à l’échelle mondiale de critères environnementaux, sociaux et de gouvernance (ESG). Une proposition a été faite en ce sens au dernier Forum économique mondial de Davos par l’International Business Council et les grands groupes d’audit que sont les Big 4, dont Deloitte. Pourraient s’y ajouter des suppléments sectoriels « construits collégialement avec les parties prenantes », considère Julien Rivals, associé chez Deloitte Développement Durable.

Du chiffre aux problématiques environnementales

« Les auditeurs sont toujours tributaires de l’information donnée », constate Isabelle Martinez. Dans une étude à paraître dans la revue M@n@gement2, reposant sur les réponses anonymes de 104 professionnels de la vérification à des questionnaires expérimentaux, elle montre aussi avec ses coauteurs que les experts financiers, professionnels du chiffre qui conduisent la plupart de ces audits, ne sont pas tous bien armés face aux problématiques environnementales.

« La différence entre le financier et l’extra-financier s’amenuise de jour en jour, considère pourtant Julien Rivals. Les informations ESG ont de plus en plus de conséquences financières, par exemple pour établir les bonus de dirigeants ou déterminer des taux d’emprunt en fonction de l’atteinte d’objectifs. » Les audits de Deloitte marient experts en RSE et comptables.

L’arsenal juridique français, aussi précurseur soit-il, n’est pas assorti de sanctions pour les entreprises qui ne respecteraient pas leurs obligations de transparence et feraient du greenwashing

Reste que l’arsenal juridique français, aussi précurseur soit-il, n’est pas assorti de sanctions pour les entreprises qui ne respecteraient pas leurs obligations de transparence et feraient du greenwashing. Or la sincérité et l’exhaustivité de leurs déclarations sociétales interrogent.

Début mars 2020, l’association Notre affaire à tous a ainsi rappelé à l’ordre 25 multinationales françaises sur leur vigilance climatique « Quand un dirigeant doit publier les risques et les fournir aux marchés, sa responsabilité peut être engagée, commente Julien Rivals. S’il est insuffisamment précis il n’y a certes pas de sanction de non-respect, mais les parties prenantes peuvent demander des comptes. »

  • 1. Entreprises dont l’effectif moyen est supérieur à 500 salariés permanents et qui sont, principalement, cotées et affichent un chiffre d’affaires de plus de 40 millions d’euros, ou non cotées mais ayant un chiffre d’affaires supérieur à 100 millions d’euros.
  • 2. Isabelle Martinez, Claire Gillet-Monjarret et Géraldine Rivière-Giordano, « The Role and Effectiveness of Corporate Social Responsibility Assurance in a Mandatory Setting : Professional Accountants’ Perceptions », dans M@n@gement, 2020.

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Commentaires (1)
ecometa 10/07/2020
C'est la règle en économie: nous mettons la charrue avant les bœufs ! Quelles difficultés à piloter un tel attelage ! Qui n'a pas poussé un cadi plein de course et constater les efforts de gauche à droite qu'il convient de faire pour rester sur la bonne voie ! Confusion de la fin et du moyen, en réalité il n'y a plus de finalité car c'est la société qui est au service des entreprises quand en "bonne logique économique" ce sont les entreprises qui devraient être au service de la société !
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