Economie

Qui touchera « l’héritage » économique de Paris 2024 ?

10 min

[Le vrai coût des JO] Longtemps très surestimés, les impacts économiques des Jeux olympiques ont été sérieusement revus à la baisse, et le CIO vante désormais leurs retombées immatérielles. Qu’en sera-t-il pour l’olympiade parisienne ?

Série Paris 2024

Avec une quasi-totalité d’infrastructures déjà existantes, les Jeux de Paris 2024 ont limité leur budget et l’inévitable dépassement de celui-ci. Mais peut-on vraiment en espérer des bénéfices significatifs pour l’économie du territoire francilien, voire national ? Cette question…

Avec une quasi-totalité d’infrastructures déjà existantes, les Jeux de Paris 2024 ont limité leur budget et l’inévitable dépassement de celui-ci. Mais peut-on vraiment en espérer des bénéfices significatifs pour l’économie du territoire francilien, voire national ? Cette question pose celle de la viabilité des études d’impact économique et de leurs promesses de « retombées » mirifiques, longtemps prises pour argent comptant.

« Avant 1960, les Jeux ne coûtaient et ne rapportaient pas beaucoup. L’événement sportif étant devenu un événement économique, il a fallu démontrer ce qu’il apportait à la ville et à la région qui l’accueillent », retrace Wladimir Andreff, économiste et président du conseil scientifique de l’Observatoire national du sport.

Depuis 1976, le Comité international olympique (CIO) demande d’inclure une étude d’impact économique dans les dossiers de candidature, et les villes hôtes manquent rarement d’en commanditer d’autres avant leurs olympiades. Plus rarement après…

Des impacts longtemps surestimés

« Ces études d’impact ont souvent été très mal réalisées, au mépris de toute rigueur méthodologique et scientifique », regrette Christophe Lepetit, du Centre de droit et d’économie du sport (CDES), qui produit régulièrement des travaux de ce type, dont l’étude du dossier de la candidature parisienne en 2016.

L’étude réalisée par l’Essec avant la Coupe du monde de rugby 2007 en France claironnait un impact de 8 milliards d’euros. Celle du CDES produite après l’avait ramené à 589 millions…

« Les cabinets de consultants sont tentés, pour satisfaire la demande politique, de surestimer l’impact et de sous-estimer les coûts en employant des méthodologies arrangeantes », confirme Wladimir Andreff. L’étude « ex ante » réalisée par l’Essec avant la Coupe du monde de rugby 2007 en France claironnait un impact de 8 milliards d’euros.

Celle du CDES produite après (« ex post »), l’avait ramené à 589 millions… 1« Plus le temps passe, plus les études d’impact sur les grandes rencontres sportives livrent des résultats très modérés », résume l’économiste.

Pourtant, « les grands événements sportifs constituent un moteur de la croissance économique. (…) Ils font rentrer de l’argent frais dans les territoires concernés et, par effet de multiplication, vont engendrer une création de valeur ajoutée et d’emploi », expliquaient en 2010 les économistes Eric Barget et Jean-Jacques Gouguet.

« Les études d’impact mesurent, sur une période et un territoire donnés, les effets produits par les dépenses consenties pour l’accueil d’un événement, précise Christophe Lepetit. C’est-à-dire, de façon contrefactuelle, le surplus d’activité économique par rapport à une situation théorique sans cet événement, ce qu’il apporte en création de richesses nette. »

L’économiste se réjouit que depuis 2007, sous l’impulsion de l’Etat, les méthodologies françaises aient été affinées, mais aussi harmonisées « pour permettre les comparaisons et crédibiliser les résultats ».

Un effet multiplicateur modeste

L’exercice est complexe. Il faut d’abord définir un périmètre pertinent, les caractéristiques du territoire retenu faisant fortement varier l’impact2. Ensuite, estimer les flux financiers attribuables aux JO, puis l’« injection brute » (ensemble des flux entrant sur le territoire) et l’« injection nette » (pour ne retenir que les flux restant sur le territoire). Enfin, appliquer à celle-ci le multiplicateur retenu pour obtenir l’impact total.

Ces coefficients multiplicateurs, appliqués aux dépenses pour en évaluer les effets indirects et induits (création de valeur ajoutée et d’emploi), parfois poussés jusqu’à 4, ont aujourd’hui été ramenés dans une fourchette de 1,1 à 1,5, explique Christophe Lepetit.

Inversement, les effets d’éviction et les effets de substitution ont été revus à la hausse. Les premiers désignent en particulier l’effet dissuasif de l’événement sur les touristes qui reportent leur séjour, voire sur les habitants qui quittent le territoire pour échapper aux nuisances. Les seconds correspondent aux dépenses qui auraient été engagées de toute façon, mais sont abusivement attribués à l’événement.

Il est également mieux tenu compte des « fuites hors circuit » (par exemple les dépenses captées par des entreprises étrangères) et des « doubles comptes » (dépenses enregistrées deux fois) qui embellissaient faussement le bilan.

« Maintenant que la transition méthodologique est accomplie, tous les organisateurs ont intégré cette modération de l’impact, même s’ils sont encore tentés de communiquer sur des chiffres bruts apparemment flatteurs », se félicite Christophe Lepetit, qui souligne :

« Les études d’impact donnent la mesure des effets produits par la stimulation initiale d’une économie du fait de l’accueil des Jeux, mais elles ne légitiment pas en soi leur accueil, et ne disent pas ce qui se serait passé si l’argent investi l’avait été ailleurs. »

Une dizaine de milliards d’euros… à relativiser

Pour Paris 2024, la délégation interministérielle aux Jeux olympiques et paralympiques (Dijop) a coordonné un ambitieux programme de treize études d’évaluation des Jeux sur les aspects économiques, sociosportifs et environnementaux, parmi lesquelles une étude d’impact ex post dont les résultats seront connus en 2025.

En 2016, le CDES avait distingué trois volets de retombées : construction, organisation et tourisme. Il retenait trois scénarios, pour autant de multiplicateurs (1,1, 1,5 et 2), correspondant à des impacts de 5,3, 8,1 et 10,7 milliards d’euros entre 2017 et 2034, pour respectivement 119 000, 189 000 et 247 000 créations d’emplois. En raison de l’inflation, le plus optimiste est déjà écarté, selon Wladimir Andreff.

La singularité des Jeux parisiens, en regard des standards des grands événements sportifs et en raison du moindre nombre d’équipements à construire, est que la part attribuée à l’organisation elle-même représente environ la moitié du total dans les trois scénarios, et que 55 % des retombées, en moyenne, sont attendues pour la seule année 2024.

Dans une note récente, le cabinet Asterès, avec son propre modèle, estime à 9,8 milliards d’euros et 116 000 emplois sur quatre ans les effets d’entraînement des dépenses liées à l’organisation des JO.

Les chiffres doivent cependant être rapportés à l’échelle de l’économie nationale ou régionale. Or, un bilan positif d’une dizaine de milliards d’euros, qu’il faut en outre lisser sur plusieurs années, est infime par rapport aux près de 800 milliards d’euros du produit intérieur brut (PIB) annuel de l’Ile-de-France.

« Un événement sportif ne peut pas relancer la croissance économique d’un pays, sa politique d’emploi », Christophe Lepetit, du CDES

Idem pour l’estimation des emplois attribuables aux Jeux au sein d’une population active de 5,4 millions de travailleurs dans la région. Vincent Biausque, adjoint en charge des JO à la direction de l’Insee Ile-de-France, parle d’emplois « mobilisés » et non « créés », « compte tenu de la difficulté à savoir ce qui se serait passé dans un scénario sans les JO ».

« L’analyse des olympiades passées montre que les pays organisateurs n’ont pas connu de stimulation économique notable », rappelle Asterès. « Un événement sportif ne peut pas relancer la croissance économique d’un pays, sa politique d’emploi », confirme Christophe Lepetit.

Accélération et rattrapage

Alors, faut-il plutôt croire au coup d’accélérateur que donneraient les Jeux à des grands programmes d’infrastructures et d’aménagement urbain ? Pour les communes concernées, les Jeux prolongent au nord-ouest les transformations de La Plaine Saint-Denis engagées à l’occasion de la Coupe du monde de football 1998, autour du Stade de France.

En particulier avec le « village olympique » – qui accueillera à terme 6 000 habitants et autant de travailleurs, à l’intersection de Saint-Denis, Saint-Ouen et L’Ile-Saint-Denis –, le nouveau centre aquatique ou le prolongement de la ligne 14 du métro3.

Rappelant les transformations de Barcelone (1992) et Londres (2012), Christophe Lepetit accrédite cette thèse :

« Les pays et les villes hôtes se doivent d’être au rendez-vous et de donner la meilleure image possible. Et quand tous les financeurs sont autour de la table, cela tend à raccourcir les délais de réalisation de programmes de grande envergure. »4 

Le secteur du BTP et ses géants sont assurés d’en profiter, mais cela ne garantit pas l’alignement de ces programmes sur l’intérêt des territoires et des populations. Et cela évite encore moins les processus d’éviction et de gentrification attestés à Barcelone et Londres5.

Pour l’économiste Wladimir Andreff, ce n’est que vingt-cinq ans après l’événement qu’un bilan crédible peut être dressé

« L’Insee prévoit de publier avant les Jeux une étude sur le rattrapage socio-économique du département et ses transformations sociodémographiques, annonce Vincent Biausque. Mais elle portera sur des investissements, comme celui du Grand Paris Express, qui dépassent le cadre de la compétition. »

Pour Wladimir Andreff, ce n’est que vingt-cinq ans après l’événement qu’un bilan crédible peut être dressé « avec des études coûts-bénéfices prenant en compte l’ensemble des revenus et des externalités économiques, positives et négatives ».

Un impact « immatériel » ?

Un impact très relatif, des bénéfices hypothétiques, des bilans réalistes seulement dans un quart de siècle... Que reste-t-il à porter au crédit des Jeux et de leur contribution économique ?

Pour éluder le constat d’impacts directs minimes, le CIO et les pays hôtes privilégient désormais la notion d’« héritage », qui désigne les impacts matériels ou tangibles (les équipements censés être utiles aux territoires et aux populations), mais aussi immatériels ou intangibles.

Parmi eux, les gains d’image et d’attractivité pour la ville6, l’amélioration du bien-être de la population avec son accès à de nouveaux équipements ou l’augmentation de sa pratique sportive, le progrès de l’employabilité des actifs, la réduction des inégalités territoriales, le sentiment de fierté nationale, etc.

« Le succès ou non de ces JO ne doit pas être évalué en termes économiques, mais d’engouement populaire », le cabinet Asterès

« Pour ceux qui vont le vivre, c’est un événement extraordinaire qui n’est pas commensurable », avance Vincent Biausque. « Le succès ou non de ces JO ne doit pas être évalué en termes économiques, mais d’engouement populaire », abonde Asterès, qui invoque le souvenir du Mondial 1998.

« Tout n’est pas quantifiable, et il ne faut pas tout chercher à quantifier parce qu’on passe à côté de certains effets microéconomiques, mais aussi symboliques, qui peuvent être positifs », renchérit Christophe Lepetit, lequel y voit un nouveau chantier pour les chercheurs :

« Maintenant que la méthodologie sur la partie économique est stabilisée, on s’attache à développer la partie sur l’impact social ou sur l’utilité sociale – deux concepts distincts. »

Des études coûts-bénéfices, intégrant des notions comme le bénéfice social actualisé ou le retour social sur investissement, permettraient, à l’avenir, de mieux éclairer la prise de décision publique sur l’accueil des grands rendez-vous sportifs, espère l’économiste du CDES. « Les hôtes mènent rarement ce type d’études : les décideurs politiques ne tiennent pas à connaître ce bilan à horizon trop lointain pour leur agenda, et qui peut établir une perte sociale nette », regrette toutefois Wladimir Andreff.

Pour Paris 2024, les Jeux sont faits, pas encore le bilan.

 

Retrouvez notre série « Les Jeux olympiques de Paris 2024 en valent-ils le coût ? »

 

  • 1. Eric Barget et Jean-Jacques Gouguet, « La mesure de l’impact économique des grands événements sportifs. L’exemple de la Coupe du monde de rugby 2007 », Revue d’économie régionale & urbaine n° 3, 2010, pp. 379-408. 
  • 2. Les experts soulignent la difficulté de trouver les informations pertinentes en raison de l’absence de comptabilité régionale.
  • 3. Les lignes 16 et 17 du Grand Paris Express, prévues pour desservir le village des athlètes et le village des médias ne seront mises en service qu’en 2026.
  • 4.  D’autant que des législations ad hoc ont été adoptées pour raccourcir les procédures administratives et limiter les risques liés aux recours.
  • 5. A ce sujet, lire Paris 2024. Une ville face à la violence olympique, par Jade Lindgaard, Divergences 2024.
  • 6. Les députés Stéphane Peu et Stéphane Mazars, coauteurs d’un rapport publié en juillet 2023, doutaient de l’impact direct pour des villes déjà très touristiques comme Paris, mais considéraient que « l’olympiade peut en revanche permettre à ces destinations de consolider leur image, dans un contexte de concurrence accrue sur le marché touristique mondial ».

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Commentaires (2)
Gourou51 29/03/2024
Un thème complétement sous-estimé c'est la sécurité de ces Jeux! Nous apprenons que nous allons faire appel à des forces étrangères pour mieux sécuriser....
Serge Martin 28/03/2024
L’héritage sera t il une dette?
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