Ghana : un chocolat taxé à 277 %

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Beurre et poudre de cacao envahissent les locaux exigus de la PME dirigée par Roméo Lumor: "Ce sont les emplois qui manquent dans notre pays. Et pour en créer, il faut transformer nos matières premières au lieu de les exporter brutes." Le Ghana, où 80% de la population vit avec moins de deux dollars par jour, est le deuxième producteur mondial de cacao (735000 tonnes en 2004), mais seuls 10 à 20% de la production sont usinés sur place. Une proportion que le gouvernement du président Kufuor s’était engagé en juillet 2002 à faire passer à 40% avant 2005, mais sans en donner les moyens au secteur privé. L’Etat s’est surtout contenté d’un projet d’accroissement de 25 000 à 65 000 tonnes des capacités de CPC, société nationale qui produit chocolat, pâtisseries et produits semi-finis (liqueur, poudre, beurre) et qui réalise, avec Wamco (autre établissement public) et le suisse Barry Callebaud, l’essentiel des activités de transformation.

L’initiative du gouvernement n’apportera rien aux entrepreneurs privés tels Roméo Lumor ou son collègue Daniel Quarcoo, directeur d’Allied Cocoa Products, une petite fabrique de poudre de cacao. En raison de taux bancaires très élevés (environ 30%, pour cause de politique monétaire restrictive et d’importance des emprunts de l’Etat), les deux patrons de PME peinent à développer leur activité. Daniel Quarcoo garde le souvenir amer d’un contrat manqué l’an passé avec des industriels de Singapour: "Les quantités qu’ils demandaient dépassaient nos capacités, je n’avais pas les fonds pour investir et emprunter est trop coûteux. " Les banques étrangères? "Elles demandent des garanties que nous n’avons pas", déclare-t-il. La Banque mondiale? Depuis 1993, elle a lancé un projet de soutien aux PME, mais " cela ne va pas très loin ", reconnaît un porte-parole de celle-ci.

Bien d’autres obstacles se dressent sur la route des industriels. Dans un secteur où l’Etat a excercé son monopole jusqu’en 1993, la lourdeur de la "bureaucratie", voire les "faveurs politiques", continue de peser. Roméo Lumor a dû interrompre à plusieurs reprises sa production à cause des ruptures d’approvisionnement de la Produce Buying Company, société nationale qui contrôle la moitié de la commercialisation intérieure des fèves et la quasi-totalité à l’export. Autre contrainte, la piètre qualité des infrastructures (malgré de récents progrès, comme le réseau routier), qui se répercute sur les coûts de production. Le prix de l’eau a été multiplié par sept depuis 1999, mais le service n’est guère meilleur pour autant. A Accra, la moitié de l’eau transportée se perd dans les canalisations et les coupures fréquentes obligent les usines à s’arrêter. Les coûts de production sont également très dépendants de facteurs extérieurs: la hausse du pétrole se répercute sur les factures d’électricité ou sur le prix d’intrants qu’il faut faire venir de loin. CPC importe son sucre du Brésil et son lait des Pays-Bas.

Il y a enfin les barrières tarifaires érigées par les pays importateurs. Les droits de douane sont nuls pour le cacao brut exporté vers l’Europe (principale destination du cacao ghanéen) et les Etats-Unis. Bruxelles les a aussi supprimés pour les produits semi-transformés (liqueur, beurre et poudre), au titre de sa coopération avec les pays du Sud, et Washington ne leur applique qu’une taxe modique (0,4% pour la poudre). Mais il s’agit de produits pour lesquels la demande mondiale ne progresse pas. En revanche, les droits de douane appliqués par les pays riches sur les produits finis, ceux qui concentrent toute la valeur ajoutée et donc les plus profitables, sont exorbitants: 277% en moyenne sur le chocolat, selon l’OMC. Rien d’étonnant alors si chocolat et autres friandises, destinés du coup au seul marché local et régional, ne constituent que 10 % de la production de CPC. Ces tarifs n’expliquent pas tout. La qualité et l’image ne séduisent pas les clients occidentaux: le peu de chocolat que CPC exporte vers le Japon ou les Etats-Unis doit être reconditionné à l’arrivée. "C’est à nous de changer ça", affirme Daniel Quarcoo.

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