Afrique du Sud : au péril des terrils
Désaffectées puis oubliées, 6 000 mines du pays sont des lieux hautement toxiques. Une militante de Johannesbourg a décidé de s'attaquer au laxisme des compagnies minières et des autorités pour faire évacuer les habitants des zones sinistrées et amorcer la dépollution des sites.
Mariette Liefferink a déchaussé ses hauts talons et enfilé des bottes pour gravir la colline. En tunique rouge chatoyante et collants assortis, cette quinquagénaire, maquillée comme une pin-up, détonne. Elle salue chaleureusement un vieux Noir édenté. La directrice de la Fédération pour un environnement durable (FSE), une ONG sud-africaine, le connaît bien. La colline où il vit est le coeur de son combat. Le sol est jonché de gravats, comme si un ouragan avait dévasté les cabanes où vivaient 35 familles. Mais, ici, point de tempête tropicale : le 15 janvier 2011, un bulldozer a rasé les taudis qui surplombaient le bidonville de Tudor Shaft près de Krugersdorp, une ancienne ville minière à l’ouest de Johannesburg.
Autant que Tchernobyl
" J’ai fait venir un expert britannique et il a mesuré un taux de radioactivité 15 fois plus élevé que la norme légale, s’indigne Mariette Liefferink. Autant que dans la zone d’exclusion de Tchernobyl ! " La colline est un terril de résidus d’une mine d’or dont le minerai était riche en uranium... La FSE a contraint l’autorité de sûreté nucléaire d’Afrique du Sud (NNR) à ordonner l’évacuation des 35 familles : une première ! Le vieux David est le seul à être resté. Le gouvernement lui a bien alloué une maison ailleurs, mais elle est occupée illégalement par une autre famille. En attendant une solution, il s’accroche à son jardin potager contaminé : " Je survis en vendant mes légumes. " L’homme a un vilain eczéma sur le bras : un effet de la radioactivité ? Impossible à dire, il n’y a jamais eu d’étude épidémiologique sur l’impact des 270 terrils de la région de Johannesburg.
Trois militants
Mariette Liefferink a longtemps été une voix solitaire. Aujourd’hui, elle siège au NNR et dans cinq comités chargés de conseiller le ministre de l’Environnement. Son organisation ne compte que trois personnes, dont une ex-résidente de Tudor Shaft. Mais elle fait autorité dans le domaine de la pollution des mines. " Je me bats pour les milliers de déshérités qui vivent au pied des terrils ", dit cette ancienne pasteure des Témoins de Jéhovah.
Mère de quatre enfants, divorcée, Mariette habite un quartier chic de Johannesburg. Cette Afrikaner raffinée, au charme un tantinet suranné, à la voix haut perchée et d’une politesse d’un autre temps, s’est engagée dans le combat écologique un peu par hasard. " Shell voulait construire une mégastation-service en face de chez moi. Après sept ans de combat, la compagnie a retiré son projet juste à la veille d’une conférence où je devais prendre la parole, en préambule du Sommet des Nations unies sur le développement durable, en 2002, à Johannesburg. J’ai pris conscience qu’une seule personne pouvait avoir un impact réel. "
les menaces d’un élu
Après cette victoire, 53 fermiers, touchés par la pollution minière, l’ont contactée : elle leur a obtenu 100 000 euros de dommages-intérêts. " Au début, les compagnies minières m’ont combattue, raconte-t-elle. Aujourd’hui, elles me soutiennent car elles ne veulent pas être tenues pour seules responsables des immenses dégâts causés par cent vingt années d’exploitation minière. " La Fédération pour un environnement durable est d’ailleurs financée par deux sociétés minières, au titre des obligations sociales de ces firmes en Afrique du Sud. Sa mission : expliquer aux riverains que la poussière venue des terrils, l’eau des rivières, le lait des vaches et les légumes de leurs jardins potagers sont toxiques. " Ici, beaucoup de gens souffrent d’asthme, constate David Miya, un déplacé de Tudor Shaft, relogé à côté d’une ancienne mine. Quand il vente, la poussière recouvre tout. "
La radioactivité, les métaux lourds et l’eau acide qui émanent des terrils peuvent aussi entraîner des cancers, des troubles neurologiques et des malformations. Selon Carin, toxicologue, le nombre d’enfants handicapés serait très élevé à l’ouest de Johannesburg. Mais le message a du mal à passer chez les habitants des bidonvilles, dont le principal souci est de se nourrir. " Je travaille toujours avec les leaders des communautés pour éviter les malentendus culturels ", souligne Mariette Liefferink. Elle rit des menaces dont elle a fait l’objet, notamment d’un élu local de l’ANC qui l’avait accusée d’avoir caché deux serpents dans un bassin minier, où deux enfants d’un bidonville voisin s’étaient noyés. Après avoir longtemps fait la sourde oreille, le gouvernement a enfin décidé de prendre des mesures. Le 23 février dernier, il a approuvé un plan pour traiter en partie l’eau acide qui s’écoule des mines désaffectées. Il a mis en place un comité d’experts pour plancher sur les terrils. Diverses solutions sont envisagées : extension de la zone tampon théorique, retraitement et création de mégaterrils surveillés. Selon le responsable du comité, la réhabilitation des 6 000 sites miniers désaffectés dans le pays se chiffrera en centaines de millions d’euros.
Non loin de Tudor Shaft, un garde veille sur une luxueuse maison de retraite, construite illégalement à 300 mètres d’un immense terril. Les bâtiments flambant neufs sont déserts depuis fin 2009 : " J’ai fait tellement de battage qu’ils n’ont même pas pu l’inaugurer ", confie Mariette Liefferink, un immense sourire aux lèvres.